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Les fruits et légumes ont le vent en poupe depuis quelques temps dans l'art de la table. En témoignent l'artichaut en argent de la maison de luxe Buccellati, mais aussi les céramiques inspirées du choux de Bordallo Pinheiro, ou encore Monoprix et l'une de ses collaborations actuelles avec Vicki Murdoch, cette illustratrice écossaise dont les dessins aux motifs naturalistes élèvent brocolis, citrons ou encore radis, au rang d'art de la table.

Nous avons alors interrogé Fanny Parise, notre anthropologue experte en évolution des modes de vie et de consommation, afin de mieux comprendre ce que reflète de la société le design de la nourriture.


Nourrir son âme et ancrer la nourriture comme un outil spirituel.
Il existe sans doute une dimension spirituelle dans cette réintroduction de la nature dans nos foyers, et plus spécifiquement de la nourriture. Dans un monde où la consommation alimentaire a largement perdu son sens symbolique et rituel, les fruits et légumes décoratifs offrent une possibilité de retrouver une sacralité de l'aliment. Comme le soulignait Claude Lévi-Strauss dans ses travaux, la nourriture est plus qu'une nécessité biologique ; elle véhicule des valeurs culturelles profondes. Ici, en figeant les fruits et légumes dans une mise en scène artistique, nous recréons une relation spirituelle avec l'aliment, comme le faisaient autrefois les offrandes et rituels. Cette sacralisation de la nourriture, même en tant qu’objet décoratif, devient un moyen de transcender la consommation quotidienne et d’en faire un outil de contemplation et de connexion symbolique.



Figer une nature périssable, symbole de la vie terrestre et de ses fragilités.
La temporalité joue un rôle important dans cette tendance à décorer avec des fruits et légumes. Il s’agit en quelque sorte de capturer un instant d’éphémère, de figer la nature dans un objet pérenne, une pratique qui rappelle les vanités de la peinture flamande. Ces compositions picturales évoquaient l’inévitabilité de la mort tout en célébrant la vie dans ses excès. En décorant nos maisons avec des fruits et légumes, nous effectuons un geste similaire : tenter de maîtriser le temps, de célébrer la nature tout en étant conscient de sa périssabilité. Cette juxtaposition entre abondance et fragilité reflète des préoccupations contemporaines liées à l’environnement et à notre relation complexe avec la nature, tout en réaffirmant la beauté de l’éphémère.

 


Explorer sa nature artistique, en référence aux natures mortes des peintures flamandes ou surréalistes d'Arcimboldo.

Les natures mortes flamandes et les œuvres surréalistes d’Arcimboldo ont profondément marqué notre imaginaire collectif. En intégrant des fruits et légumes dans nos intérieurs, nous ne faisons pas qu’imiter une esthétique du passé : nous créons notre propre version de ces compositions, devenant ainsi des artistes contemporains de notre espace domestique. Ce geste s’inscrit dans une volonté de continuité avec l’histoire de l’art, où la nature morte devient non seulement un décor, mais un support d’expression personnelle. Chaque arrangement de table ou de salon avec des fruits et légumes peut être perçu comme une réinterprétation moderne de ces œuvres classiques, où l'individu réaffirme sa capacité créative et son rôle dans la transmission d'une esthétique ancienne.

 

Un besoin de peps qui appelle à la vitalité.

Au-delà de leur symbolisme artistique, les fruits et légumes évoquent aussi une énergie visuelle. Les couleurs vives et la forme organique de ces objets sont associées à la vitalité, à la fraîcheur et à la santé. En intégrant ces éléments dans la décoration, nous cherchons à insuffler une dose de positivité dans notre quotidien. Ce besoin de "vitamines" visuelles reflète une quête de bien-être émotionnel et de dynamisme, face à un contexte souvent marqué par le stress et la fatigue. Ainsi, au-delà de leur esthétique, ces objets ont une fonction émotionnelle, apportant une note de fraîcheur et d’énergie à nos intérieurs.

Un besoin de concret qui rassure face à l’abstraction du monde.
Dans un monde de plus en plus digitalisé et abstrait, où les interactions humaines sont souvent médiées par des écrans, l’utilisation de fruits et légumes en décoration pourrait répondre à un besoin de retour au concret. Comme le notait Marc Augé, nous vivons dans un monde saturé de non-lieux et d’espaces virtuels. En exposant des objets tirés de la nature, nous cherchons une connexion physique et tactile avec notre environnement. Ces objets incarnent un certain réalisme, une forme de réassurance dans un quotidien souvent dématérialisé. La matérialité des fruits et légumes contraste avec la froideur des formes abstraites modernes, et leur familiarité permet de se reconnecter à des expériences sensorielles simples mais fondamentales.


Un retour au vintage, symbole d'une quête d’authenticité.
Le retour des motifs de fruits et légumes dans la décoration fait écho à une nostalgie du passé, notamment à des époques perçues comme plus simples et authentiques. Le vintage, souvent associé à des matériaux durables et des designs intemporels, nous reconnecte à une esthétique où l’objet avait une signification profonde et durable. En intégrant des objets inspirés du passé, nous nous reconnectons à des symboles traditionnels, cherchant à retrouver un confort psychologique dans un monde où le changement est constant et rapide.

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L'artichaut de Buccellati

" Comme le soulignait Claude Lévi-Strauss dans ses travaux, la nourriture est plus qu'une nécessité biologique ; elle véhicule des valeurs culturelles profondes. Ici, en figeant les fruits et légumes dans une mise en scène artistique, nous recréons une relation spirituelle avec l'aliment, comme le faisaient autrefois les offrandes et rituels. "

Nous nous sommes aussi penchés sur le retour du métal argenté dans l'art de la table. L'artisanat d'art de luxe en témoigne avec l'artichaut en argent de Buccellati, mais aussi la réédition des "Folies" du designer Axel Chay pour Monoprix. Cette collection joyeuse et colorée sortie en février dernier a connu un tel succès que la marque et le designer ont décidé de la rééditer, avec des pièces cette fois-ci, chromées. Alors que dire de cette tendance en décoration ?

L’acier et l’argent, par leur brillance et leur robustesse, marquent un retour aux matériaux solides et durables dans la décoration. Ces matières incarnent à la fois la modernité et la pérennité, des qualités recherchées dans une époque où l’éphémère domine souvent. Le recours à des matériaux comme l’argent, notamment dans les collections de luxe telles que celles de Buccellati, évoque un goût pour le prestige discret et la qualité intemporelle. Comme le souligne Pierre Bourdieu, les choix de matériaux dans la décoration peuvent refléter des stratégies de distinction sociale. Ici, l'acier et l’argent représentent une forme de luxe qui n’est pas ostentatoire mais renvoie à une quête de valeurs durables et esthétiques, un besoin de s’ancrer dans des objets qui traversent le temps.



Et la symbolique de l’artichaut en argent : complexité et révélation ? 
L’artichaut, avec sa structure composée de multiples couches cachant un cœur tendre, est une métaphore riche en symboles. Il incarne l'idée de découverte progressive et de richesse intérieure. En tant que légume, il peut sembler banal, mais il représente en réalité la complexité cachée de la nature et, par extension, de la vie humaine. L’anthropologue Mary Douglas aurait sans doute interprété cette dualité de l’artichaut comme un rappel des strates sociales et des différentes couches d’identité que chaque individu porte en lui. En argent, l’artichaut acquiert une dimension encore plus précieuse, symbolisant la tension entre la fragilité et la pérennité, entre ce qui est visible et ce qui est caché. Dans la décoration, choisir un artichaut en argent peut être perçu comme un acte à la fois esthétique et philosophique. C’est un objet qui, par sa forme et sa matière, raconte une histoire de transcendance du banal vers le précieux, une révélation de la profondeur au sein même de la simplicité apparente.

Retrouvez l'artichaut de Buccellati dans CURIOSITÉ !

Vicki Murdoch & Monoprix / Axel Chay & Monoprix

La guirlande d'artichauts en argent de Buccellati

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Vicki Murdoch & Monoprix / Les "Folies" d'Axel Chay & Monoprix

John Whelan by © Oskar Proctor

Lors de la Milan design week 2024, nous avons rencontré Manuela Szewald, directrice de la création et directrice générale des luminaires Kaia, et le designer John Whelan, fondateur et dirigeant du collectif GSL Works (The Guild of Saint Luke). Ensemble, ils ont collaboré pour donner naissance à "Empyrée", un lustre innovant qui s'inspire de l'Art déco et de la géométrie sacrée. Alors forcément, nous avons voulu savoir quel était le fruit de cette rencontre, et surtout comment la spiritualité avait façonné cette collaboration, à cheval entre artisanat d'art et design d'avant-garde, deux notions chères à ces lumineux créateurs. Et c'est autour d'une installation immersive dédiée, à la Galleria Rubin, via Santa Marta à Milan, que nous les avons rencontrés.

Mais tout d'abord, revenons sur Kaia. "Kaia", en grec, signifie à la fois l'ombre et la lumière, ce qui traduit parfaitement l'habileté de la marque à vouloir jouer avec les contrastes, dans une recherche de perfection géométrique. Car la volonté de Kaia, d'origine anglo-allemande, est de combiner à la fois un design intemporel de haute qualité à une beauté fonctionnelle, dans un souci de durabilité et de responsabilité. Tous ses objets sont fabriqués à la main, et ses composants triés sur le volet et assemblés dans un atelier traditionnel et familial près de Munich, en Allemagne. 

Quant à GSL Works, c'est un collectif d'architectes, d'artisans et d'artistes fondé et dirigé par le designer britannique John Whelan, connu notamment à Paris pour avoir remis au goût du jour le concept des "brasseries parisiennes".  

 

"Empyrée" est donc l'alliage de ces deux créatifs européens férus d'art et de beauté. 

Comment est née cette collaboration "Empyrée" ?  

 

J : Nous avions déjà collaboré ensemble avec Kaia sur plusieurs projets, c'est une marque que j'adore ! Nous avons fait pas mal d'intérieurs historiques, et par exemple pour les appliques murales, si tu utilises des appliques historiques, cela devient vite un pastiche. Alors avec Kaia, qui a un design très minimal et de très bonne qualité, que tu peux ajuster facilement, c’est l'idéal !

 

C’est comme ça que j’ai rencontré Manuela. Et puis, par la suite, nous avons eu de beaux et francs échanges sur la direction artistique de la marque, et un jour,  elle m'a proposé de faire en collaboration. J'avais des idées en tête de luminaires un peu inspirés des techniques de l'Art déco, de la période des années 20 ou plutôt des années 30, et je me suis dit que ce serait parfait pour la marque. 

 

Pourquoi avoir appelé ce luminaire "Empyrée" ? Il y a une notion assez mystique dans ce mot ! Définition du dictionnaire Le Robert : 1.Partie la plus élevée du ciel, où séjournent les dieux, en mythologie / 2. Ciel, monde supraterrestre, séjour des bienheureux, en littérature.

 

Globalement, mon travail est très inspiré de l’ésotérisme. J'aime beaucoup le mystère du divin. Empyrée signifie le point le plus élevé du ciel, le Paradis, et dans ce lustre il y a quelque chose de “top du top” ! C’est une pièce parfaitement géométrique, parfaitement impressionnante, avec une grandiosité, une ampleur. Il y a aussi dans son design des éléments issus de la géométrie sacrée, que l’on retrouve dans les illustrations de Gustave Doré (NDLR : artiste français né en 1832, célèbre pour sa constellation).

 

Quels éléments du lustre sont issus de la géométrie sacrée justement ? 

L'illustration avec Dante de Gustave Doré est un soleil qui explose, et dans beaucoup de dessins ésotériques ou francs-maçonniques, les rayons de lumière symbolisent le mystère du divin, la lumière représente l'intelligence, le savoir. On retrouve cette idée dans le motif en étoile du lustre, "Stardust". C’est un peu arty, high level dit comme ça, mais parfois, quand on fait une installation, c’est bien d’élever les choses et de discuter d’autres choses que de simples leds !

Et puis nous sommes à Milan, alors forcément, nous sommes un peu inspirés par le post-modernisme milanais, comme le caoutchouc au sol ou le métal perforé, très utilisé par Mario Botta par exemple. Donc pour Milan, c'est parfait de présenter quelque chose comme ça. 

 

Comme le miroir en facettes de cette installation, je remercie énormément Manuela d'avoir investi là-dedans ! A l’origine, c’est un peu inspiré du designer René Proux qui a fait une pièce célèbre avec des facettes comme ça, et nous, nous les avons miroitées un peu pour refléter le lustre à l'infini, dans l’idée de transcendance et d’éternité, ce qui va bien avec le nom Empyrée. Tout a du sens, tout est dans le souci du détail, ce n’est pas par hasard !

Plus d'infos sur kaialighting.comgsl.works

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Manuela Szewald, directrice de la création et directrice générale de Kaia.

" Empyrée signifie le point le plus élevé du ciel, le Paradis, et dans ce lustre il y a quelque chose de “top du top” !" 

L'installation de Empyrée à la Galleria Rubin, via Santa Marta à Milan © Kaia

L'engouement actuel pour les matériaux bruts et naturels distingue la pierre de lave comme étant une ressource aux qualités esthétiques et durables hors normes, et aux vertus stimulantes.

 

Pour étayer notre curiosité sur ce magmatique matériau éruptif, nous avons conversé avec Giovanni Ranieri, CEO de l'entreprise familiale qui porte son nom, Ranieri, et dont l'ADN célèbre la beauté de la nature à travers la non-uniformité et l'unicité de l'imperfection.

 

Direction les portes du Vésuve, à Terzigno près de Naples, où Ranieri innove, perpétue un savoir-faire napolitain séculaire, et excelle dans la transformation artisanale de la roche volcanique en expressions contemporaines haut de gamme. Qu'elle soit de l'art, de l'architecture ou de la décoration d'intérieur, la pierre de lave offre une symbiose totale avec la nature où la créativité, récemment dirigée au sein de la maison par les designers et architectes Francesco Meda et David Lopez Quincoces connus pour la modernisation des icônes italiennes de l'architecture et du design, est, elle, sans faille.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre prochaine collection ?

Nous sommes en train de développer une collection de produits du monde de la salle de bain, parmi nos nombreux nouveaux projets et initiatives en cours. Nous la dévoilerons bientôt, mais ce que je peux vous dire, c'est que nous poursuivrons et améliorerons encore plus ce que nous avons commencé avec Odissea.

 

Quels sont les avantages et inconvénients de la pierre de lave ? Le marbre est-il son principal concurrent ?

Tout type de pierre est une alternative, et non un concurrent, à la pierre de lave : granit, quartz, ardoise, etc. Notre lave italienne est plus résistante que les autres types de lave, car elle est plus lourde. D'une manière générale, sa naissance rend la lave résistante, dure et polyvalente, ce qui lui permet d'offrir une plus grande gamme de possibilités techniques que le marbre ou la céramique, et la rend donc idéale pour une grande variété de carreaux et de revêtements muraux, de comptoirs de bar et de cuisine, de meubles d'extérieur, de baignoires, d'éviers, de bars, de bureaux d'accueil, d'espaces de spa et de bien-être, d'environnements extérieurs et, comme la pierre retient naturellement la chaleur, de piscines. Les nuances particulières et les différences chromatiques qui résultent de sa surface naturellement variée offrent des résultats plus riches que l'uniformité industrielle des carreaux de céramique.

Vous travaillez avec de la pierre de lave extraite du Vésuve. Peut-on facilement dater la pierre et se dire qu'on a un morceau préhistorique dans sa cuisine ?!

C'est tout-à-fait exact. Il est difficile de la dater, mais pour le Vésuve et l'Etna (d'où provient notre lave), il s'agit de centaines d'années. Elle diffère d'un élément à l'autre, car chaque morceau de lave témoigne d'un moment très précis de la formation volcanique, préservé dans la roche. On pourrait considérer qu'il s'agit d'une expression poétique et solidifiée des mouvements de la Terre.

LA MAGIE DES COULEURS

 

Vous obtenez vos effets de couleur avec les techniques traditionnelles de la céramique de Vietri, n'est-ce pas ? Pouvez-vous nous expliquer ce savoir-faire ?

Nos techniques s'inspirent de la tradition de Vietri, mais nous avons mis au point des méthodes de production entièrement nouvelles, qui concernent à la fois les coupes et les applications de couleurs. Dans un sens, nous avons élargi les capacités de l'artisanat historique de la Campanie (région du sud-ouest de l'Italie, ndlr) avec la lave, et nous avons mis en valeur l'hétérogénéité, la qualité et la richesse des surfaces de la pierre. Notre approche représente une rupture par rapport aux limites longtemps imposées à l'utilisation de la lave - soit brute, soit complètement obscurcie par l'émail - et ouvre de vastes possibilités de conception pour la pierre, dans le respect de son état naturel.

 


Avec l'essor des matériaux naturels (terre cuite, bois naturel, paille, argile, coquillages...) que pensez-vous de la couleur dans la décoration et l'architecture dans les années à venir : nos intérieurs sont-ils "condamnés" à devenir tous identiques et naturels ou neutres (beige, blanc cassé, crème, terracotta...) ? 

Nous aimons garder les choses intéressantes et offrir à nos clients un large éventail de possibilités, avec des matériaux naturels et organiques ainsi que des options plus audacieuses. Je pense qu'une tendance n'est qu'une tendance, et qu'en ce sens, elle a une durée de vie spécifique. De plus, nous vivons à une époque où de nombreuses tendances très disparates coexistent en permanence. Aujourd'hui, il y a un boom des matériaux naturels, mais en même temps un fort désir de couleurs et de formes audacieuses. Nous opérons dans toutes les dimensions.

" Notre lave italienne est plus résistante que les autres types de lave, car elle est plus lourde. D'une manière générale, sa naissance rend la lave résistante, dure et polyvalente, ce qui lui permet d'offrir une plus grande gamme de possibilités techniques que le marbre ou la céramique. 

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Les directeurs artistiques Francesco Meda & David Lopez Quincoces © Alessandro Oliva

L'ARTISANAT INNOVANT

 

Dans quelle mesure votre pierre de lave est-elle innovante ? Et quelle est la particularité de la nouvelle collection Odissea (2D/3D) ?

Nous sommes les premiers à mettre en valeur, plutôt qu'à cacher, ce que d'autres appellent les "défauts" de la lave. Cette pierre présente des propriétés uniques et une surface incroyablement variée, qui découlent de sa formation dans le feu. Au cours de nos nombreuses années d'expérience, nous avons mis au point des traitements novateurs pour cette pierre, afin de révéler encore davantage les particularités des minéraux et du magma - pour nous, sa véritable préciosité naturelle. Odissea a été conçue par nos nouveaux directeurs créatifs, les architectes et designers Francesco Meda et David Lopez Quincoces, avec la même intention : présenter la lave sous un jour inédit. Il s'agit d'une collection d'éléments 2D, 3D et de revêtements de sol qui peuvent être combinés dans des compositions homogènes ou variées. Odissea est une création innovante qui parle d'une nouvelle ère de la lave, en introduisant des choix que seul Ranieri est capable de créer et qui expriment notre célébration de l'essence naturelle de la pierre volcanique.

LES TENDANCES

" L'innovation, le territoire et l'art " sont une sorte de tendance globale. L'ADN de Ranieri est de mettre en valeur la beauté de la nature à travers l'imperfection, ce qui fait écho à l'ère de sincérité à laquelle les gens aspirent aujourd'hui, comme la spiritualité et le soin de soi...

 

Pourquoi la pierre de lave est actuellement une tendance en décoration et architecture ? 

Une fois que l'on connaît la pierre de lave, son attrait esthétique et sa haute fonctionnalité sont très puissants, car elle représente quelque chose que l'on a rarement vu dans le monde de l'intérieur. C'est une expression supérieure de la nature qui, lorsqu'elle est traitée correctement, devient une véritable œuvre artistique qui s'intègre à un espace de vie, au-delà de sa fonctionnalité.

A votre avis, comment vont évoluer les matières premières dans les années à venir ? 

Nous sommes tous témoins d'une volonté d'explorer et d'adopter des matériaux uniques et distinctifs. Nous avons assisté à de nombreux développements dans le cadre de cette approche, à la recherche de moyens inédits et novateurs pour traiter ces matériaux ; il est intéressant de noter que le désir que je constate est de le faire d'une manière qui respecte et n'endommage pas le matériau lui-même, ce qui est bien sûr l'une de nos principales priorités.

 

La pierre de lave pourrait-elle devenir le "diamant" du design de demain... avec un bon storytelling ?!

Je crois que c'est possible, et c'est la raison pour laquelle j'y ai consacré toute ma vie. Avec son esthétique et sa flexibilité sans précédent, il peut, s'il est traité correctement, atteindre des résultats expressifs qui n'ont jamais été obtenus jusqu'à présent. Notre objectif est de transformer cette expression unique de la nature en art contemporain, en architecture et en décoration d'intérieur de la plus haute qualité. Les applications peuvent vraiment être infinies.

L'ART CONTEMPORAIN

Ranieri transforme la roche volcanique en expressions contemporaines haut de gamme de l'art, de l'architecture et de la décoration d'intérieur. La nature est votre partenaire artistique. 

 

Vous avez participé à la dernière édition d'EDIT Napoli 2023 avec l'installation in situ "A Matter of Perspectives". Qu'avez-vous voulu mettre en avant à travers cette exposition ? Et dans quelle mesure la roche volcanique est-elle de l'art, et quel type d'art ?
Les nombreux visages de la lave, encore secrets pour la plupart d'entre nous. Il est intéressant de noter que, dans notre imaginaire collectif, nous avons tendance à considérer la lave non pas comme un objet précieux, mais comme tel. C'est l'un des plus beaux visages artistiques de la nature, tel qu'il est né. La capacité à traiter un matériau naturel de manière à mettre en valeur ses propriétés existantes est une forme d'art.

 

Plus d'infos sur Ranieri.com

© Eller Studio et Alessandro Oliva

© Eller Studio, Edit Napoli 2023

© Stefano Galluzzi et Eller Studio

L'architecture nous émeut. C'est un fait. Elle peut aussi être perçue comme élitiste, alors que nous sommes tous concernés par le bâti, l'espace, les couleurs ou les formes qui nous entourent. L'un des rôles de l'architecte est de penser le lieu pour nous faire ressentir des émotions à l'aide de codes rangés dans un certain conformisme de pensée. Parfois, certains de ces codes sont déviés de leur trajectoire pour justement perturber le spectateur.

Pour illustrer ce propos, nous avons échangé avec Rodrigo Armas et Julio Kowalenko le duo d'architectes et designers vénézuéliens Atelier Caracas qui s'amuse à parsemer ses créations expérimentales de codes non-conformistes inspirés de la culture pop, et dont le motto à la Magritte, "This is not architecture", pousse à la réflexion. 

LES ÉMOTIONS

 

Chez Fenster, nous aimons l'architecture perturbatrice de Luis Barragan (qui a construit un ranch rose aux États-Unis dans les années 50, très provocateur et avant-gardiste pour l'époque) et l'architecture émotionnelle qu'il a engendré. Quelle est la place de l'émotion dans l'architecture en 2023 et dans les années à venir ?

La nostalgie.

 

Plus généralement, quel est le pouvoir émotionnel de l'architecture et pourquoi nous émeut-elle ? 

Nous aimerions citer John Hejduk à ce sujet. "La question fondamentale de l'architecture est de savoir si elle affecte l'esprit ou non. Si elle n'affecte pas l'esprit, c'est une construction, si elle affecte l'esprit, c'est une architecture". En fin de compte, l'architecture matérialise nos pensées les plus profondes en expériences spatiales, l'émotion est la clé. 

 

Quelles sont les particularités de l'architecture vénézuélienne et comment intégrez-vous votre mode de vie vénézuélien dans vos projets ? 

Le fait d'être constamment exposés aux troubles sociaux et politiques depuis que nous avons commencé à travailler nous a amenés à considérer notre travail comme une bulle hermétique, un endroit où les habitants peuvent se transporter dans des univers parallèles comme une sorte de retraite méditative de la réalité. Nous aimons créer des espaces avec des fins narratives où la gravité ne s'applique pas et où il n'y a pas d'agitation sociale ou politique. 

 

Quelle est votre vision de la radicalité ?

La gravité est surfaite.

LA PSYCHANALYSE 

 

Quel bâtiment vous définirait ? 

Un garage. Notre architecture a quelque chose de très mécanique.

 

Quel lieu vous apaise et lequel vous met mal à l'aise ? 

Les musées nous apaise. Nous trouvons la maîtrise des beaux-arts par l'homme très apaisante.

Les boîtes de nuit nous mettent mal à l'aise. Le matin est important.

 

Quelle couleur vous apaise et laquelle vous met mal à l'aise ? 

Le bleu pâle nous apaise. Le jazz est dans toutes les nuances de bleu.

L'orange nous met mal à l'aise. Trop hype.

 

Utilisez-vous vos propres peurs comme exutoire dans vos projets ? 

Chaque fois que nous avons la possibilité d'intérioriser nos idées, notre créativité s'en trouve stimulée. Affronter ses peurs est le seul moyen de les transcender. 

" La question fondamentale de l'architecture est de savoir si elle affecte l'esprit ou non. Si elle n'affecte pas l'esprit, c'est une construction, si elle affecte l'esprit, c'est une architecture". En fin de compte, l'architecture matérialise nos pensées les plus profondes en expériences spatiales, l'émotion est la clé." 

Vous dites que l’architecture devrait avoir le pouvoir de mettre mal à l’aise dans une certaine mesure, de bousculer les codes. Comment jouez-vous avec les codes, par un détail, comme mettre une tête de mort dans un spa dans votre projet A spa Odissey par exemple ? 

Si nous affirmons que l'architecture doit être inconfortable, c'est parce que nous pensons que la monotonie et la routine peuvent provoquer un état de satisfaction stagnant. En fin de compte, c'est le conformisme psychologique que nous aimons perturber par nos créations. Des structures obèses et caricaturales, des colonnes inutiles, des volumes aux proportions bizarres, des escaliers qui ne mènent nulle part, une approche à la Alvaro Siza si vous voulez, voilà ce que nous appliquons généralement dans nos normes architecturales lors de la conception d'un espace ou d'un objet. Ces anomalies architecturales permettent de redéfinir la relation de l'homme avec l'ordre, la forme et l'échelle.  

L'INFLUENCE

 

Votre projet Fun Maze nous rappelle la maison futuriste du film "Mon oncle" de Jacques Tati. Quel cinéma vous inspire et quel film représenterait votre univers ? 

Tout d'abord, merci pour la comparaison, nous adorons "Mon oncle". En fin de compte, tout dépend de l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons lorsque nous nous lançons dans un nouveau projet. En ce moment, nous nous retrouvons généralement à naviguer dans la puissance narrative de Pedro Almodovar, la profondeur mascara de Wes Anderson ou les anomalies anatomiques de David Cronenberg. 

 

Si un film devait représenter notre monde, ce serait Rushmore de Wes Anderson. Nous aimons penser que nous sommes toujours à l'intérieur d'une pièce de Max Fischer.

L'AVENIR

 

Quel est le rôle de l'architecture en 2023 ? 

Le rôle : rappeler que le futur est primitif et que les procédures analogiques évoquent la beauté de l'erreur. 

Le défi : l'IA comme placebo. 

Les contraintes : les ressources naturelles.

L'innovation : la logique.

LA POP CULTURE

L'architecture peut parfois être considérée comme élitiste, alors que nous sommes sommes tous concernés par le bâti, l'espace, les couleurs ou les formes des lieux qui nous entourent. Dans New coherency, vous mettez en scène des objets "banals" de pop culture. Est-ce un moyen de défendre l'idée que l'architecture, c'est pop culture ?

Comme pour tout, ce n'est pas une question de quoi, mais de comment. Cela dit, nous ne considérons pas l'architecture comme une entité élitiste. Pour nous, l'architecture est la manière dont nous construisons notre propre réalité. Penser, imaginer et rêver ne sont pas des principes élitistes, ce sont des choses que l'argent ne peut pas acheter. New coherency est une recherche en cours qui consiste en une série de provocations visuelles explorant les limites de la façon dont, une fois décontextualisés, des objets banals, des icônes du design et des souvenirs populaires peuvent jouer avec l'idée de devenir de l'architecture... en citant Hans Hollein, "Everything is Architecture !".

 

Plus d'infos sur AtelierCaracas.com

A Spa Odissey

Fun Maze

New coherency

STEPHANE MALKA
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L'architecte !

STÉPHANE
MALKA

Pour éclairer notre dossier spécial Street Culture, nous avons rencontré Stéphane Malka, fondateur du studio d’architecture éponyme, architecte, designer, théoricien… et graffeur ! Portrait.

Des musées aux happenings architecturaux en passant par des Folies modulaires* (village vertical ultra-écologique à Montpellier), Stéphane Malka construit. Auteur de deux livres, Petit Paris et Utopies croisées, il vit la ville de l’intérieur, questionne l’impact des "non-lieux" et la place de la culture et des mouvements citoyens dans la capitale, avec passion. Originaire de Belsunce, dans le centre ville de Marseille, il a commencé, ado, par l’art du graffiti.

 

Et Paris fût sa première source d’inspiration urbaine. "Ça a été un choc de voir les métros tagués ! Je trouvais ça hyper ludique, j'ai tout de suite aimé. Mon terrain de jeu, c’était les dépôts et terrains vagues les week-ends, et les métros la semaine."

Déjà, vers 10 ans, c’est à New York où réside une partie de sa famille qu’il perçoit l’énergie de la ville. Quelques années plus tard, il commence à concevoir l’espace public comme un espace commun, un négatif de l’espace privé. Débute alors une certaine notoriété dans l’univers du graffiti, entre Paris et Marseille. "Je n'ai pas hésité à monter sur les toits, peindre des façades, sous les ponts, les dents creuses parce que je respectais la limite du privé, qui s'arrêtait à ta fenêtre. Le reste, c’était du domaine de l’urbain. Même si ce sont des bâtiments privés dans le foncier, ils sont à la vue de tous." 

 

Influencé par les cultures alternatives (notamment le hip-hop, aux prémices dans les années 80), c’est après avoir tenté les Beaux-arts, d’où il s’est gentiment fait remercier en arrivant avec ses photos de tags perçues comme "illégales", qu’il emprunte la voie de l'architecture, à Paris. Interview.

© Stéphane Malka architecture : La Dunk house à Los Angeles et Les abris furtifs à Marseille.

Quel est ton rapport à l’urbanisme ?

Pour moi, la ville est plutôt organique. L’architecture et l’urbanisme doivent laisser une place à la réalité, à la vie, apporter de la flexibilité. Sinon on se retrouve, au mieux dans un musée, au pire dans un endroit abandonné ! 

 

En parlant d’urbanisme, comment est née l’esthétique des grands ensembles (tours, barres, dalle de béton,...) ? 

Le début du 20ème siècle a été une sorte d’apothéose architecturale, notamment avec l’art nouveau, qui a utilisé, à des fins stylistiques, des matériaux comme le fer ou le béton. Puis le mouvement dit "international" (issu du mouvement moderne, NDLR) s’est construit avec la volonté de faire table rase du passé, d’éliminer les détails et le superflu d’une esthétique considérée comme trop "bourgeoise". Mais cette mouvance, qui s’est accélérée dans l’entre-deux guerres n’a pas laissé le temps aux architectes de développer leur style et d’aller au bout des choses. On a mis un tapis rouge sur quelque chose d’expérimental qui aurait mérité d'être mieux développé.

 

Qui a inventé ce style ? Le Corbusier, avec son Plan Voisin ? 

C’est presque une maïeutique, comme un système qui s’enfante probablement tout seul. On n’a pas attendu les temps nouveaux pour faire du béton, les Romains en faisaient déjà, et beaucoup mieux que nous. La résurgence de ce béton a été liée à des moments où on a vite réalisé que les bâtiments en pierre étaient lourds, chers et que cela ne collait pas avec les reconstructions d’après-guerre. Le Corbusier était de cette veine là.

Peut-on parler d’une architecture orientée, contrôlée ?

Orienté, contrôle, c’est inhérent à l'architecture. L'architecture est un outil d'aliénation massif. C’est fondamental pour moi de le rappeler. Elle permet de contrôler et d’aliéner toutes les masses, d’où le fait que ce soit un milieu considéré comme élitiste. On a tout intérêt, si on veut bien parquer les gens, à ce qu’il ne s’y intéressent pas trop, alors qu’au contraire tout le monde devrait avoir un point de vue sur l’architecture ! 

 

Pourquoi l’architecture des cités est-elle si populaire aujourd’hui ?

Que cela reflète-il de l’ère du temps ?

Je ne peux donner qu’un point de vue. On est dans une hégémonie de la street culture. Plus c’est rough, brut de décoffrage, plus cela donne un côté authentique. C’est pour ça que les maisons de mode veulent shooter dans des endroits historiques, jusqu’aux Pyramides ! On prend l’authenticité et la puissance d’un bâti ancien que l'on transcrit dans un nouveau monde totalement éphémère. Je ne jette pas la pierre, j’ai travaillé très tôt dans la mode, dans les années 90, pour Thierry Mugler, je dessinais les podiums. 

Mais pour en venir aux barres, c’est bien si on en fait une ou deux, mais toute une couronne ou des zones entières, c’est problématique. Tout comme les budgets alloués à l’entretien de ces zones, même si aujourd'hui il y a des aides qui permettent de s'y installer. Mais pendant trop longtemps, l’idée était seulement de parquer, soyons clairs, dans des endroits très mal entretenus. La question est plus de savoir "comment on amène non seulement de la vie mais d’abord de la ville dans ces zones, comment on fait communiquer la ville et la banlieue, la banlieue et la ville".

Quelle influence a le bâti des cités sur la créativité des artistes qui en sont issus ?

Je ne suis pas sûr que ce soit lié, que le béton ait plus de porosité à amener de la créativité. Il y a des gens que ça casse ou que ça booste. Ces lyricistes qui écrivent des textes complètement fous, ce n’est pas parce qu'ils viennent du Bronx, et que s’il étaient nés dans les égouts ce serait encore mieux ! Le potentiel créatif est partout et la créativité est inhérente à chacun. C’est une capacité de pouvoir s'émerveiller et s'ouvrir, qu’on peut tous avoir de manière transversale. Après il y a la rage, l'œil du tigre. Moi j’étais venu pour en découdre à Paris, je voulais vraiment développer mon architecture, essayer au maximum de la construire, au moins de la réfléchir, la penser et la transmettre. Il y a aussi une culture de la réaction, de l'urgence / l'instantané, et le fait qu'il faille se développer et s’assumer financièrement. 

 

Dans l’architecture, ça a amené quoi ? 

Rien. Car elle est toujours bloquée dans les années 30 et le cubisme !

Après, si on prend l’exemple du hip-hop, phénomène mondial, j'aime bien voir la naissance de ce mouvement comme une plante qui sort du bitume, d’une faille, où la nature reprend ses droits. Ce qui m'intéresse est qu'avec pas grand chose on peut faire quelque chose. C’est comme ça que j’ai appréhendé l’architecture et que j’ai commencé à faire de l’upcycling, il y a une quinzaine d’années. Ce terme n’existait pas encore, j'appellais ça du "détournement architectural". Je prenais des éléments qui n'étaient pas tous issus du monde de l’architecture pour les transférer dans le monde de l’architecture. 

Justement, "la nature reprend ses droits", peut-on émettre un parallèle entre l’art du graffiti et la nature ? 

C'est le sujet de mon livre, le Petit Paris ! Tous ces lieux indigents et laissés à l’abandon dans la ville, sont ceux qu’on a envie de peindre en tant que tagueur. Pas juste parce qu’ils sont en décrépitude, mais parce qu'ils sont de vrais lieux à part entière. C’est pour cela que, dans mon livre, j’ai appelé ça un "Kamasutra architectural", avec des chapitres intitulés "au-dessus" (pour "sur les toits"), "en-dessous" (pour "sous les ponts"), "entre-deux" (bâtiments). Le graffiti est vraiment un coup de projecteur sur l’urbanité de la ville, dans un timing donné. La nature, elle, a une autre échelle de temps.

 

Y a-t-il un parallèle entre les grands ensembles construits pour répondre à des contraintes d’urgence et l’écologie de l’urgence ? 

Aujourd’hui dans l'architecture, l’écologie est une question de label, d’argent. Tant mieux, cela permet aux politiques d’évoluer rapidement. Mais il faut être vigilant. Aujourd’hui, si on veut construire écologique, il ne faut pas une ancienne vision consistant à faire table rase du passé, mais réhabiliter au maximum. Cela est nécessaire. Et ce n’est pas parce qu’on travaille dans l’urgence que c’est écologique. 

 

Comment travailles-tu ton écologie ?

J’essaie de travailler la flexibilité, la modularité et la mobilité. Ce trio permet d’avoir n’importe quel changement de programme dans l'architecture et l'aménagement. Imaginons un immeuble modulaire, fait d'unités de logements, on peut rajouter ou enlever des logements si nécessaire. Cette mobilité amène de la flexibilité. J'ai dessiné des bureaux reconvertis en logements car tout ce que j’avais dessiné était mobile, non issu du commerce. Ces stratégies là sont importantes. Aujourd’hui, on a fait le tour de l’architecture rigide comme on l'a dessiné au 20ème siècle pour des usines. On sait que la pensée architecturale, si elle n’est pas pragmatique à tous les usages, ne fonctionne pas.

 

Qu’apporte cette notion de modularité ?  

Une économie de moyen, et pas juste une écologie de moyen. Elle est là, la réelle écologie. Ce n’est pas faire un nouvel éco-quartier en bois, qu’on va détruire dans 15 ans.  Il vaut mieux avoir une architecture consciencieuse, dont chaque élément a une possibilité d'évolution. C'est fondamental. J'ai aussi cette approche là sur les bâtiments existants. A l'agence nous avons des projets de façades existantes, comme remettre des loggias développés dans un système préfabriqué, qui pourront même être transportés ailleurs si les gens déménagent. Alors il y a un peu plus de travail de recherche et de détails à faire mais au moins, il y a la satisfaction d'avoir toujours quelque chose de sur mesure, peu importe où on l’installe. Les loggias, permettent aussi de faire un tampon thermique, c’est important car les normes font baisser les tailles des fenêtres, et augmenter les épaisseurs d’isolation.

© Les Folies modulaire de Stéphane Malka. Un village vertical ultra-écologique.

Situé au cœur du quartier St Roch de Montpellier, l'objectif de ce projet est de créer un pôle de création alternatif associé à des lieux de vie auto-gérés, donnant naissance à une nouvelle destination iconique et culturelle. Le tout dans une logique ultra-écologique et une architecture novatrice, sans rien ne détruire ni impacter les sols d’une construction supplémentaire. Cette surélévation de 8 étages conserve dans sa totalité le bâtiment existant du XIXème siècle qu’elle couronne.

La politique de la ville de Paris et des éco-quartiers est-elle bien pensée ou “greenwashée” ? 

Un peu des deux, c’est au cas par cas. Ce qui est délicat est qu’on a que les annonces, mais tant que ce n’est pas fait… Imaginons un bâtiment "à énergie positive et bilan carbone bas", est-ce que l'import des matériaux ou la destruction ont été pris en compte ? 

Il faut juger sur pièce. Pour être clair, tant qu'on fait une architecture classique lourde, on n’y arrivera pas. Une architecture écologique se mesure au poids, plus c’est lourd plus cela nécessite un transport de matériaux, etc. Construire écologique ? Construisons léger !

 

En hauteur ? 

Oui, on peut. Mais prenons l’exemple de Los Angeles. C’est très bas, et ce n’est pas écologique du tout ! Car on ne peut pas créer un espace urbain. Tout le monde a sa voiture. A Los Angeles, on bétonne et goudronne, jusqu’à la mer ! Il faut être réaliste, toutes ces zones pavillonnaires, c’est horrible écologiquement. L’étalement urbain est dramatique pour la planète.

 

Il n’y a pas de bâti parfait ? 

Si, les aborigènes ! Nous avons cette idée farfelue que nous allons vivre toute l’éternité, mais cela n’a aucun sens. On adore changer de vêtements tous les mois ! Et dans l’architecture, on aime bien la vieille pierre car on se dit qu'on vivra longtemps, alors que ça ne sert à rien. Aujourd’hui, dans un vieux bâtiment, on met des heures pour percer un trou dans un mur, ce n’est pas cohérent avec le mode de vie que l’on a. L'intérêt de faire une architecture légère peut redéfinir complètement la ville. Imaginons : "Si ton architecture est légère, et que tu as envie de t’installer dans un quartier où vivent des artistes, tu y vas, avec ta maison et ton jardin végétal transportables, et une communauté spontanée se crée. Six mois après tu changes si tu le souhaites !". 

On confond le temple et l’habitation. Aujourd’hui on n’a pas à habiter dans des endroits qui sont là pour l'éternité. D’autant que l’accès à l’achat est très compliqué. Si on n'est pas hériter, c’est très dur d’avoir accès au logement. Alors quand on a de quoi créer un logement qui pourrait coûter 20.000 euros, pour X temps… C’est une politique de ville différente mais c’est jouable. Des programmes aujourd’hui se dessinent, le co-living par exemple. Bibliothèque, cuisine commune, espace avec piscine et douche autour, on peut recréer du vivre ensemble, et même si c’est fait au départ par nécessité, on réalise que ça marche très bien. Il faut avoir la mixité sociale que l’on désire. A l’opposé, les maisons dans les arbres excitent l'imaginaire, c’est le retour aux origines ! C’est dans l'inconscient collectif de nos premiers abris en tant qu'histoire de l'humanité. Les gènes ont une mémoire. L’abri était nécessaire et fondamental pour le froid, la chaleur et s’abriter mais il n’y a plus de prédateur aujourd’hui, ni de guerre, on n’a plus besoin d’habiter sur des structures aussi solides. 

 

A l’instar du tag, ton architecture te permet de militer dans l’espace urbain, notamment avec le projet Auto-Défense (2006). Peux-tu nous en dire plus ?

A cette époque, il y a eu des expulsions et plein de manifestations pour les sans papiers. Alors je me suis dit qu’il fallait construire des abris pour les gens dissidents du système, les apatrides, les utopistes, qu’il leur fallait une carapace, et prendre l’assaut des endroits pour amener quelque chose de positif et créer un nouveau scénario social autre que "ça manifeste, ça casse, on se fait gazer". 

Il faudrait en fait fédérer ces énergies et élaborer des scénarios admis par l'Etat, ou non, et faire une poche insurrectionnelle dans la ville. Cela permettrait de ramener des gens qui ont des idéaux communs. Car aujourd’hui, c’est la confrontation des blocs, à l'intérieur même de la société ! Les vaccins VS les anti-vaccins, les manifestants VS les policiers, il faudrait une table ronde pour discuter de tout ça, d'où l'idée du projet intitulé Auto-Défense.

© Auto-Défense de Stéphane Malka

L’architecture, c’est pop culture ? 

L'architecture et la pop culture sont pensées comme une entité commune. Moi je suis le fruit de la pop culture, complètement décomplexé ! J’ai grandi avec Goldorak, mon walkman et ma paire de baskets. Et c’est hyper important de réinjecter cela dans l’architecture. J'essaie de le faire dans tous mes projets. Pour certains, c'est une hérésie, pour moi, c’est un moyen cohérent d'amener l’architecture au grand public. Alors certains diront qu’ils ont grandi dans une cabane en bois sans regarder la Tv, pourquoi pas, c’était trendy à un moment donné de dire ça, mais la plupart d’entre nous non, soyons réalistes. Moi je suis cet enfant là, à travers le hip-hop et les émissions de Sydney, comme “H.I.P.H.O.P.”. Il faut assumer sa décomplexion. Dans sa manière de travailler, de s'habiller, et son art.

Plus d'infos sur StephaneMalka.com

" Je suis le fruit de la pop culture, complètement décomplexé ! "

Ces lyricistes qui écrivent des textes complètement fous, ce n’est pas parce qu'ils viennent du Bronx, et que s’il étaient nés dans les égouts ce serait encore mieux ! "

" On confond le temple et l’habitation. Aujourd’hui on n’a pas à habiter dans des endroits qui sont là pour l'éternité. "

Fanny Parise, sociologue anthropologue, spécialiste de l'évolution des modes de vie et de la consommation
FANNY PARISE

L'anthropologue !

Début 1900 en Allemagne naît la Lebensreform, un mouvement réformateur social visant un mode de vie minimaliste, sobre et proche de la nature, dont s'inspirera le Monte Verita, fondé vers 1900. Vie saine et ascétique en plein air, dans des cabanes, proche de la nature, où règnent spiritualité et véganisme. Quasi prophétique !

Les classes sociales supérieures d’aujourd’hui sont-elles les héritières de la Lebensrefom, et par extension, du Monte Verita ?


Fanny Parise, spécialiste des mondes contemporains @madame_lanthropologue et auteure des livres "Les enfants gâtés" et "Le mythe de la consommation responsable", nous répond :


" Il semble que les personnes adeptes de ce mouvement étaient des hippies avant l’heure. Tout comme les communautés des années 1960-1970, le tiraillement entre volonté de se retirer du monde et besoin de trouver un équilibre économique, notamment en s’appuyant sur celui du reste de la société, témoigne de l’ambivalence de ces manières alternatives d’habiter le monde.

On veut que tout change pour que rien ne change. Comme aujourd’hui avec le capitalisme responsable, l’histoire se répète : il s’agit toujours d’une fraction des classes supérieures qui, en réaction à des changements sociétaux et aidée par leurs capitaux de départ (héritage, entre-soi, culture) décide de bâtir une autre société. Un monde qui est plus juste, mais surtout qui leur permet de se maintenir à l’écart des bouleversements socio-culturels. C’est un phénomène socio-anthropologique classique : les classes supérieures se battent toujours pour imposer une nouvelle culture légitime, de manière descendante et qui leur permet de concilier la conservation de leurs privilèges au prisme des changements de société inévitables.

Grâce à leurs capitaux de départ, ils sont les plus à même d’aborder le choc des bouleversements à venir et ils sont de bons indicateurs de la transformation culturelle : suivant un effet loupe, ils permettent une analyse plus fine des enjeux d’un moment de société. "


 

Et d'un point de vue architectural, qui sont les héritiers du Monte Verita ?


" Les héritiers architecturaux sont nombreux. Je pense notamment à tous les habitats alternatifs : comme les habitats légers, mobiles, vernaculaires ou de petites surfaces (tiny house) dont la presse se fait l’écho. Je pense également aux expérimentations à l’échelle d’une résidence ou d’un territoire, comme avec les éco-hameaux ou les expériences de vie différentes. Mais il ne faut également pas oublier qu’actuellement notre société est traversée par de nouvelles formes d’habiter : mutualisation dans les logements sociaux, versatilité des appartements dans des résidences, etc. Toutes ces évolutions architecturales témoignent de l’adaptation du bâti aux évolutions de la société (colocation, famille monoparentale, solidarité de proximité, etc.).

 

Des évolutions architecturales qui s’adaptent aux contraintes de prix et d’environnement : car tout le monde ne peut pas se retirer du monde, mais par contre, chaque personne aspire à plus d'intériorité (psycho-spiritualité, développement personnel, etc.) à l’échelle de son logement. "

" Chaque personne aspire à plus d'intériorité (psycho-spiritualité, développement personnel, etc.) à l’échelle de son logement. "

LES RAPPEURS
" DTF s'offre la forteresse
du célèbre architecte
Ricardo Bofill ! "
LA PYRITE
" Le maestro Renzo Piano embarque les skieurs dans un écrin de verre telle une pyrite géante et cristalline, ouverte à 360 degrés... "
L'ANTHROPOLOGUE
 
" Qui sont les héritiers architecturaux du Monte Verita ? "
" Les classes sociales supérieures d’aujourd’hui sont-elles les héritières de la Lebensrefom ? "
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